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Affichage des articles du 2014

Anne de Szczypiorski

     L'angoisse est là, féconde. Sur sa toile se promènent des filles chétives presque belles. Le ciel est figé par sa flèche dans un soupçon de crépuscule, sans joyaux et sans parfum. Le ciel est un tissu opaque et sale. La lumière sinistre d'un holocauste injuste aveugle l'espérance. Il n'y a plus que le « je n'aurais jamais dû » qui ouvre encore un œil hideux parce qu'utile.      Des fleuves de sang séché coulent de l'autrefois, évoquant des enfants squelettiques aux cheveux secs, rêches, ébouriffés et noirs, avec des yeux pareils à des soleils que noircit la fumée des usines.      Les toits perdent leur peau de reptile rugueux et bleuâtre.Le froid feuillette les chairs orange, givre les doigts aux ongles blancs. Le chanvre indien devient morose dans la narghilé et ses rêves sont changés en spectres crochus, gribouillés. L'Absolu flegmatique s'est laissé piétiner. Des lianes massives ligotent les bulles d'enthousiasme qui se divisent en d

Philippe Jaffeux, Alphabet (de A à M)

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Un livre qualifié de «  proliférant et multiforme  » (C.Vercey), «  vertige lucide  » (F.Huglo), « nouvelle énergie » et «  une des plus grandes entreprises littéraire du temps  » (J-P Gavard-Perret), ne peut qu'intriguer et inviter à la découverte. A contrario, le même livre, un pavé de près de deux kilos, au format 21x29,7 pourrait faire fuir. Mais ce nouvel Objet Littéraire Non Identifié mérite vraiment les hommages qu'il reçoit un peu partout. Philippe Jaffeux, qui affirmait «  Le propre de l'homme est de se salir au contact d'une parole transparente  » 1 n'hésite pas à nous nettoyer l'esprit avec toute l'encre des manques, interstices et pages blanches. Revenir aux fondements non pas de la langue mais de la civilisation : l'alphabet (mais qui du chiffre ou de la lettre fut le premier?), et y tenter la fission avec les nombres. Une nouvelle forme de poésie géo[poé]métrique non affiliée à l'Oulipo mais bigrement assistée par les ord

Jérôme Bouchaud et Georges Voisset : passion pantoun

Il n'y a pas que le haïku dans la vie ! Et le pantoun alors ! Importé en France par Victor Hugo dans Les Orientales , le pantoun (et non pantoum comme l'a laissé imprimer Hugo) n'a pas le même succès que le haïku. Jérôme Bouchaud et Georges Voisset tentent inlassablement de réparer cette injustice en multipliant les occasions de faire découvrir leur passion pour cette poésie traditionnelle mais néanmoins moderne. Le pantoun , forme poétique originaire de l’archipel malais-indonésien est un poème à forme fixe, brève, mais différente du haïku et tanka japonais plus connus en France. Le pantoun est en effet le seul parmi ces formes brèves à se décomposer en deux parties : la première, ombre portée  ("pembayang") objective et descriptive, et la seconde, sens  ("maksud") subjectif ou proverbial. Traditionnellement, le pantoun est un quatrain fait pour être énoncé, échangé, récité, chanté, dansé au gré des circonstances de la vie quotidienne (déclaration

Jean-Claude Pirotte et Guénane : Une île ici et là

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Quel est ce « besoin d’îles » qui me fait lire, par hasard, le même jour, le regretté Jean-Claude Pirotte « Une île ici » et Guénane « L’approche de Minorque » ? L’un, malheureusement décédé, est édité chez un grand éditeur (Mercure de France) l’autre, heureusement bien vivante, par une petite maison de micro-édition qui n’en fait pas moins un gros travail de qualité éditoriale : La Porte (depuis 17 ans, aux bons soins attentionnés d’Yves Perrine). Quel est ce besoin et cette conjonction d'actualité autour de ces îles où selon Blaise Cendrars « l’on ne prendra jamais terre » ? Deux tentatives de réponses. Jean-Claude Pirotte, qui a « bourlingué n'importe où » et qui vivait « en rond / comme dort la couleuvre », dédie ce livre à Guillevic. Un intéressant jeu de il ou elle, où l'on ne sait qui est « il », Guillevic , ni qui est « elle », Groix, Belle-île, Hoedic ? Il ne situe pas précisément cette île, il préfère en toucher l’universel, le mythe. L'île comme « r

Pascal Quignard

Les poissons sont de l'eau à l'état solide. Les oiseaux sont du vent à l'état solide. Les livres sont du silence à l'état solide. Pascal Quignard Sur le jadis Grasset

Virginie Gautier ou la littérature enrichie

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François Rannou, infatigable passeur de L'Inadvertance, nous propose dans sa collection chez publie.net un ouvrage disponible en ebook qui illustre parfaitement l'évolution que peut vivre la littérature dans les prochaines années. Une littérature à la croisée de nouveaux chemins ? Que nous propose donc Virginie Gautier, cette auteure née en 1969 qui vit entre Paris et le Finistère? Elle enrichit notre lecture avec des liens hypertextes, des illustrations, des sons (extraits lus par l'auteure), des vidéos réalisées par elle aussi. Mais ne nous trompons pas, il n'est pas question d'illustrer le propos écrit mais d'accompagner le lecteur dans une démarche artistique étendue bien au delà des limites de la page. L'auteur cherche à multiplier les angles d'approche en jouant à la fois sur l'espace et la géographie du territoire urbain exploré et sur le mode de représentation des sensations ressenties. Il est même possible d'enchevêtrer parfo

Jacques Josse

Jacques Josse est un écrivain breton discret, trop sans doute. Poète, il a présidé longtemps la Maison de la Poésie de Rennes et a publié de nombreux poètes contemporains dans sa belle maison d'édition Wigwam. Désormais membre du collectif remue.net, il est un infatigable passeur de poésie avec ses notes de lectures toujours très appréciées. Liscorno, petit village des Côtes d'Armor, est le point de départ de sa vie d'écrivain fortement marquée par la Beat Generation.  C'est cette découverte que Jacques Josse raconte dans ce troisième volet de sa trilogie autour de son cheminement personnel avec les écrivains. Il y avait eu Terminus Rennes , publié chez Apogée, éditeur à Rennes et puis Retour à Nantes , publié par la Maison de la Poésie de Nantes, il y aura désormais la troisième pointe du triangle Liscorno .  Ces petites proses poétiques, autour des lieux et des mots, Liscorno, ce village où a vécu Jacques Josse jusqu'à ses 18 ans, renvoient à la poésie de Ker

Cesare Pavese

8 novembre 1938       On ne peut connaître son propre style et l'utiliser. On utilise toujours un style préexistant, mais d'une façon instinctive qui en forme un autre qui est actuel. On ne connaît son style présent que lorsqu'il est passé et définitif et que l'on se retourne pour l'examiner en l'interprétant, c'est-à-dire en s'expliquant comment il est fait.     Ce que nous sommes en train d'écrire est toujours aveugle. Nous ne pouvons pas savoir sur le moment si cela vient bien (c'est-à-dire si, après, en y revenant, nous estimerons ça réussi). Simplement, nous le vivons et il va de soi que les astuces, les inventions que nous y apportons, sont un autre style composé précédemment, étranger à la substance du style actuel.     Écrire, c'est consommer ses mauvais styles en les utilisant. Revenir sur ce qui est déjà écrit pour corriger est dangereux, on court le risque de juxtaposition des choses différentes.     Donc il n'y a pa

Jean Joubert

J'aime qu'un arbre dans le sable prenne racines et qu'il ose tenter contre la nuit un langage de feuilles, un vaste geste d'oiseaux. * "Frère galet, dit le saint, arrache-toi de la mer, et sur la rive enseigne-moi la parfaite humilité." * L'enfant amasse les branches. L'homme les brûle. Du bout de son bâton, le vieillard écrit dans la cendre le nom secret de Dieu, l'alphabet des ombres. Jean Joubert "L'alphabet des ombres" éditions Bruno Doucey

Georges Bonnet

L'été s'en va laissant ses yeux son parfum d'herbes et d'eau Comme dans les années rondes les pommes sont belles la rivière nue une bouteille au soleil lisse ses plumes Quelques fleurs atténuent  la fatigue de l'église * Vergers asservis Christs noirs palissés sur les murs L'horloge infirme s'appuie contre l'armoire le jardin du presbytère est nu par sainteté La modestie des choses engendre le silence Georges Bonnet Tout bien pesé le dé bleu

Thomas Vinau

Nous ne sommes que des hommes Nous ne sommes  que des hommes et les pigeons ne sont que de grosses pierres grises qui ont appris à se méfier du sol  * La marque du collier Nous sommes  des chiens qui parlent truffes plantées dans le cul des étoiles éperdument perdus de n'avoir pas de maître * Au cœur de la cible Les oiseaux sont des lanceurs  de couteaux leurs lames de verre se plantent dans la lumière Thomas Vinau Juste après la pluie Alma éditeur

Marie-Josée Christien

Temps morts de Marie-Josée Christien* Après Les extraits du temps , Marie-Josée Christien vient de publier, aux éditions Sauvages, Temps morts . Eloge de la lenteur prévient-elle mais bien plus que cela assurément. Pierre Maubé dans sa préface le dit bien «  La parole de Marie-Josée Christien prend racine dans nos renoncements intimes, elle épanouit ce qui chez nous mourait de ne pas être dit, elle incarne ce que nous rêvions de révéler au monde  ». Ces temps morts sont ces instants de rien qui passent sans que l'on s'en aperçoive. L'une des missions du poète n'est-elle pas de nous montrer l'invisible ? «  La lumière / ployant sous l'hiver  ». Ces talus qui «  ensemencent d'échos / le flux des voix  ». «  L'ardeur de la marche  » ce «  voyage futile / dont il ne reste que quelques syllabes  ». La pluie aussi qui « s culpte l'âme / à vif / sous une voûte de transparence  ». Voyager, marcher, observer. Se rendre compte que

Fabrice Caravaca

extraits de La Vie de Fabrice Caravaca, édition Les fondeurs de brique, 2010 : Page 17 : Nous avons du souffle et nous sommes fidèles. Nous nous sentons frères et nous sommes du parti des accolades et des baisers. Nous sommes vraiment vivants et dans chaque seconde de nos éternités nous palpitons. Nous ne nous accrochons pas aux futilités. Nous sommes convaincus et nous ne nous racontons pas d’histoires. Page 20 : Aux étoiles qui poussent le ciel et à la lumière qui dérobe les trous noirs nous faisons des saluts fraternels. Nous sommes en haut de la montagne mais nous connaissons tous les souterrains et nous nous réchauffons à la lave en fusion des volcans. Nous avons déjà voyagé au centre de la planète. Page 36 […] Nous avons en nous tous les mots des poèmes lus ou entendus. Ils vibrent et sont lumière. Ils déchirent le voile posé sur les choses. […] Page 40 : […] Chaque mot entendu saura nous reven